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Hannotin

avocat au Conseil d'Etat et

à la Cour de cassation

19 juillet 2019

Pourquoi supprimer le commissariat aux comptes des PME est une erreur historique

[Par Guillaume Hannotin - tribune parue dans le journal Les Echos du 19/07/2019]


 

Une fois de plus, un slogan - « Halte à la sur-transposition des directives, vive la suppression des charges » - et une focalisation excessive sur le « modèle allemand », qui ne rend l'audit légal obligatoire que pour de plus grosses sociétés, auront eu raison d'une institution originale, fruit de l'histoire.


 

Le slogan est erroné puisque, si la puissance publique veut « libérer » les entreprises des « charges » pesant sur elles, il existe bien d'autres postes à examiner, à commencer par les impôts pesant sur la production avant de s'attaquer aux honoraires des commissaires aux comptes. Le ministre en charge de l'économie a reconnu lui-même qu'ils ne représenteraient, en moyenne, que 3.600 euros après impôt. Une somme supportable pour des entreprises réalisant entre 3 et 8 millions d'euros de chiffre d'affaires ; un prix raisonnable pour une « sécurisation de la base imposable » bénéficiant directement au Trésor public ainsi que pour une fiabilisation de l'information comptable permettant aux salariés de calculer participation et intéressement.


 

Pas de modèle unique de PME en Europe


 

Il est en outre inexact de décrire le système mis à bas par la loi Pacte comme caractéristique d'une « sur-transposition ». La directive pertinente n'a pas imposé de seuil déterminé, identique pour tous les Etats membres, que la France, sur-interprétant les exigences européennes, aurait abaissé. Elle s'est contentée de fixer un seuil au-delà duquel la certification est obligatoire dans tous les pays européens, en indiquant expressément que les Etats demeuraient libres de prévoir des seuils moindres et de déclencher un audit légal obligatoire pour de plus petites entreprises. Le législateur européen est, en effet, bien conscient qu'il n'existe pas un modèle unique de PME en Europe, et qu'il convient donc de laisser chaque Etat fixer des seuils lui permettant de soumettre au contrôle légal des comptes une large partie de son tissu économique, y compris lorsque celui-ci est composé de petites entreprises.


 

A cet égard, il est parfaitement vain de vouloir importer, sans les adapter, les critères allemands. L'Italie offre un point de comparaison plus pertinent, avec des seuils étonnamment proches de ceux que la loi PACTE propose d'abandonner.


 

L'exception française des commissaires aux comptes


 

La loi nouvelle méconnaît, enfin, l'originalité du commissariat aux comptes à la française.  Le législateur a très tôt profité de la circonstance que le commissaire aux comptes était implanté au coeur de l'entreprise pour le doter d'une grande indépendance et en faire une autorité des sociétés contrôlées (1966) .


 

Placé sous la tutelle de la Chancellerie, prêtant serment devant le juge judiciaire, le commissaire aux comptes s'est vu, au fil des années, confier quantité de missions d'intérêt général : signalement au parquet des délits (1935), transparence à l'égard des représentants des salariés (1984), devoir d'alerte à l'égard du juge consulaire en cas de difficultés économiques faisant craindre pour la pérennité de l'entreprise (1984), signalement des opérations susceptibles de relever de la législation anti-blanchiment (1999), rôle pivot dans la réglementation des délais de paiement (2001, 2014). En mettant à la porte de l'entreprise le commissaire aux comptes, c'est d'un rouage précieux dans la mise en oeuvre de toutes ces politiques d'ordre public dont se prive la puissance publique.


 

Le Conseil constitutionnel ne s'étant pas prononcé sur ces questions, quand il a validé la loi Pacte avant sa promulgation, il restera au Conseil d'Etat, s'il est saisi du décret fixant les seuils annoncés par le législateur Pacte, à inviter le gouvernement à réparer ce qui apparaît déjà comme une erreur au regard de l'histoire économique du pays.